Histoire du Style Pei Mei

Au cœur des bouleversements du 17ème siècle, une légende naît : celle du Grand-Maître Pei Mei, l'un des Cinq Invincibles du Temple Shaolin, dont l'héritage traverse les siècles.

Fondation

Le Contexte Historique

Au 17ème siècle, le Temple Shaolin traverse une période de troubles profonds. La destruction du monastère des origines en 1647 marque un tournant décisif dans l'histoire des arts martiaux chinois. Cette catastrophe résulte directement de l'accession au pouvoir de la nouvelle dynastie des Qing (Ching) en 1644, qui entend mettre fin à l'existence d'armées autonomes en Chine.

Le massacre des moines amorce la chute du Temple Shaolin traditionnel. Les survivants se dispersent à travers le Sud de la Chine, emportant avec eux les secrets ancestraux de leur art martial.

Au 18ème siècle, le style Shaolin n'est plus représenté que par cinq Grand-Maîtres légendaires, connus sous le nom des "Cinq Invincibles" ou "Cinq Immortels". Lorsque le Vénérable Suprême Hong Mei (Sourcils Rouges), patriarche du Temple, meurt sans désigner de successeur, une crise de succession majeure éclate.

Grand-Maître Pei Mei

Le Grand-Maître fondateur du style Pei Mei, l'un des Cinq Invincibles du Temple Shaolin, dont la sagesse et la puissance martiale sont devenues légendaires.

L'Alliance avec l'Empereur

C'est le Grand-Maître Chi Thien Su qui est choisi pour devenir le nouveau dirigeant du Temple Shaolin. Cette décision ne trouve pas grâce aux yeux du Grand-Maître Pei Mei, qui conteste cette succession. Cette opposition révèle des divergences philosophiques et politiques profondes au sein de la communauté Shaolin.

Depuis l'arrivée des Qing Mandchous au pouvoir, les nationalistes chinois nourrissent le rêve de renverser le trône de celui qu'ils considèrent comme un envahisseur étranger. Partisans de la dynastie Ming écartée du pouvoir, ils fomentent de nombreuses révoltes dans le royaume. Les héritiers du Temple Shaolin se trouvent ainsi naturellement impliqués du côté nationaliste.

Le Grand-Maître Pei Mei fait un choix radical et controversé : préférant un bon dirigeant étranger à un dirigeant chinois corrompu, il s'allie aux forces de l'Empereur Qianlong (1736-1796). Cette décision, motivée par ses convictions profondes sur la gouvernance juste, le place en opposition directe avec ses anciens frères d'armes.

La Transformation Spirituelle

Quittant le Temple Shaolin, le Grand-Maître Pei Mei entame une vie de moine itinérant, parcourant les terres chinoises à la recherche de la vérité spirituelle. Cette période d'errance le mène finalement au Mont Er Mei, haut-lieu sacré du taoïsme, où il embrasse cette philosophie ancestrale.

Cette conversion au taoïsme marque une évolution fondamentale dans sa compréhension des arts martiaux, fusionnant les techniques Shaolin avec les principes taoïstes de l'harmonie et de l'équilibre naturel.

L'empereur le requiert alors à la tête de son armée. Avec 50 000 hommes sous ses ordres, son nouvel allié va assiéger les bastions de la tradition Shaolin. Cependant, pour éviter une bataille sanglante qui aurait décimé les deux camps, un duel historique est organisé.

Ce combat épique oppose le Grand-Maître Pei Mei au Grand-Maître Chi Thien Su, maître de la redoutable technique de la "Tête de Fer". Au terme d'un affrontement à mains nues d'une intensité extraordinaire, le Grand-Maître Pei Mei parvient à briser la nuque de son adversaire dans un mouvement qui est devenu depuis lors une des caractéristiques emblématiques du style Pei Mei.

Propagation du Style

Fin de l'École Shaolin Orthodoxe

Dans le chaos qui suit ce duel légendaire, une lutte sanglante fait rage entre pratiquants d'obédiences philosophiques et d'origines différentes. Les guerres intestines et règlements de comptes se perpétuent pendant de nombreuses années, marquant la fin définitive de l'unité Shaolin.

Les chroniques relatent par exemple que le mandarin Phong Sui Yung, petit-fils du Grand-Maître Mieu Hien (un des Cinq Invincibles), tua en duel un certain Loi Lao Ho. Ce dernier était le gendre de Ly Ba Son, élève direct du Grand-Maître Pei Mei. Ces événements tragiques contribuèrent à mettre un terme définitif à l'école Shaolin Orthodoxe traditionnelle.

C'est précisément à cette période tumultueuse que le Wing Chun se développe, en réaction et ajustement au style Pei Mei, créant ainsi une rivalité légendaire entre ces deux écoles sœurs.

La Tradition Secrète

Par la suite, le Grand-Maître fondateur Pei Mei conserve son alliance avec le pouvoir mandchou. L'Empereur lui permet de continuer sa pratique, mais sous conditions strictes : son école ne formera désormais que des moines et devra rester absolument secrète.

Vis-à-vis du Temple Shaolin traditionnel, il est désormais considéré comme un traître au service d'une puissance étrangère. Cette stigmatisation force le style Pei Mei dans la clandestinité, préservant paradoxalement sa pureté technique.

Le fondateur Pei Mei forme plusieurs élèves remarquables, dont les Grands-Maîtres Ly Bai Son, Lao Tan Trung, Ma Hung, Bach Dong, et Phuong That. Ces disciples perpétuent l'enseignement dans le plus grand secret, préservant les techniques ancestrales pour les générations futures.

Deuxième Génération - Quang Hue

Le Grand-Maître dirigeant de la deuxième génération est Quang Hue, un bonze respecté. Ses élèves éventuels restent inconnus, témoignant du caractère secret de la transmission à cette époque.

XIXe Siècle - Chuk Fat Van

Au XIXe siècle, Chuk Fat Van (troisième génération, 18?? - 1920) devient le Grand-Maître dirigeant de l'école. Il instruit plusieurs élèves remarquables, dont le moine Lien Sanh. Il marque l'histoire en devenant le premier à enseigner le style à un non-moine.

Grand-Maître Cheung Lai Chuen

Grand-Maître Chuk Fat Van marque un tournant historique en devenant le premier à enseigner le Style Pei Mei à un non-moine (un laïc) : le Grand-Maître Cheung Lai Chuen (1880-1964). Cette décision révolutionnaire ouvre une nouvelle ère pour la propagation du style.

Grand-Maître Cheung Lai Chuen

Surnommé le "Roi des Sept Provinces", Grand-Maître Cheung Lai Chuen enseigna dans l'école Militaire du Dr Sun Yat Sen et forma plus de 120 Maîtres.

Au terme de dix années d'entraînement intensif aux côtés du Grand-Maître Chuk Fat Van, Grand-Maître Cheung Lai Chuen acquiert une renommée extraordinaire. Connu sous le prestigieux titre de "Roi des Sept Provinces", il enseigne dans l'école Militaire du Dr Sun Yat Sen, héros de la Chine moderne et fondateur du parti nationaliste chinois, le Kuomintang.

Grand-Maître Cheung Lai Chuen forme plus de 120 Maîtres au cours de sa longue carrière. En 1949, avec l'arrivée des communistes au pouvoir, il migre à Hong Kong, où il continue à enseigner jusqu'à sa mort. Durant sa vie exceptionnelle, il ouvre plus de 20 écoles à travers la Chine, souvent en défaisant des Maîtres rivaux en combat singulier et en intégrant leurs écoles à la sienne.

XXe Siècle

Grand-Maître Tang Hue Bac

Le douzième Maître formé par le propagateur Cheung Lai Chuen fut Grand-Maître Tang Hue Bac (Tang Kha Minh de son nom d'origine), initialement Maître en Choy Lee Fut. Conformément à la tradition, c'est après avoir été battu en duel honorable que Grand-Maître Tang Hue Bac devient le fidèle disciple de Grand-Maître Cheung Lai Chuen.

Après plusieurs années passées à perfectionner son art aux côtés de son maître, Grand-Maître Tang Hue Bac migre au Vietnam, s'installant à Cholon, le quartier chinois de Saigon (aujourd'hui Ho-Chi-Minh-Ville). Il y enseigne le Pei Mei exclusivement au sein de la communauté chinoise, perpétuant la tradition de discrétion.

Grand-Maître Tang Hue Bac

12ème Maître formé par Cheung Lai Chuen, il fut le premier à propager le Pei Mei au Vietnam, formant une génération remarquable de disciples.

Grand-Maître Tang Hue Bac forme de nombreux élèves talentueux, parmi lesquels : Lu Dieu Phan, Trieu Di Van, Lam Tuong, Huynh Chieu, Tang Bi Duc, Quan Hung, Huyen Lu Can, Hoang Qui Nam, Luc Tho Nhu, Ly Cam Truong, Au Kiet Chi, Diep Quoc Luong (Tai Chek Cam) et Lu Ping Woon.

Grand-Maître Nam Anh : L'Unificateur

C'est le Grand-Maître Lu Ping Woon, médecin de formation, qui était présent au lit de mort de Tang Hue Bac. Cette présence symbolique lui confère la responsabilité de faire perdurer la tradition du Pei Mei au Vietnam. Il s'acquitte de cette mission sacrée avec dévouement jusqu'à sa mort en 1997.

Le Grand-Maître Nam Anh était déjà Grand-Maître Dirigeant de l'école Wing Chun au Vietnam du Sud lorsqu'il prend une décision historique en 1980 : étudier le Pei Mei. Devenant l'élève de Grand-Maître Lu Ping Woon, il complète ainsi sa connaissance des deux grands styles rivaux du Sud de la Chine.

Plus tard, dans un geste d'une portée historique considérable, il scelle définitivement la fin des hostilités séculaires entre les écoles Wing Chun et Pei Mei au Vietnam, unissant ainsi deux traditions sœurs dans un esprit de respect mutuel et de complémentarité.

Grand-Maître Nam Anh

Grand-Maître dirigeant actuel, il incarne la réconciliation historique entre les écoles Wing Chun et Pei Mei, perpétuant un héritage martial de plus de trois siècles.

L'histoire du Pei Mei nous enseigne que la véritable force ne réside pas dans la division, mais dans la sagesse de préserver l'essentiel tout en sachant s'adapter aux défis de chaque époque.