Menu

Histoire du Kung Fu Pei Mei

❋ ❋ ❋

Fondation

Le Contexte Historique du XVIIème Siècle

Au XVIIème siècle, vers les années 1630, la dynastie Ming traverse une période de troubles sans précédent. Des catastrophes climatiques d'une ampleur exceptionnelle s'abattent sur l'empire : sécheresses prolongées, invasions de criquets, tempêtes de sable et fortes gelées provoquent famines et épidémies dévastatrices. Incapable de répondre efficacement à cette crise multiforme, la cour de la dynastie Ming (1368-1644) perd progressivement sa légitimité aux yeux du peuple chinois.

Selon la conception traditionnelle du "Mandat du Ciel", ces catastrophes naturelles signifient que le Ciel retire son soutien à l'empereur Chongzhen (崇禎, r. 1627-1644). La misère généralisée déclenche des soulèvements paysans spontanés dans tout l'empire. Au nord, profitant de ce chaos intérieur, les tribus mandchoues envahissent la Chine, s'emparent du trône céleste et installent une nouvelle dynastie : les Qing (1644-1912).

Les nationalistes chinois n'acceptent pas cette invasion étrangère qui place leur patrie sous la domination d'un peuple qu'ils considèrent comme barbare. Des sociétés secrètes se développent rapidement, prônant la destruction des Qing et la restauration de la dynastie Ming légitime.

Au XVIIIe siècle, les tensions sociales s'intensifient. La pauvreté rurale s'étend, tandis que l'explosion démographique exerce une pression accrue sur des ressources déjà limitées. La pénurie de terres cultivables exacerbe les frustrations et alimente un rejet croissant de l'autorité mandchoue, parfois teinté d'un sentiment nationaliste. Les révoltes paysannes se multiplient, mais sont systématiquement étouffées par les autorités locales. Soucieux de préserver leur position, les gouverneurs provinciaux préfèrent la plupart du temps ne pas en référer à l'empereur, de peur de s'attirer de mauvaises grâces.

Le Tournant de 1721 : La Révolte de Taïwan

L'année 1721 marque un tournant décisif. Sur l'île de Taïwan, un soulèvement d'une ampleur exceptionnelle éclate, majoritairement soutenu par les populations de l'ethnie Hakka. Cette révolte prend une dimension telle que les autorités locales ne parviennent pas à la maîtriser. La capitale administrative, Tainan, passe aux mains des insurgés dont le leader, Zhu Yigui (朱一貴 ; 1690–1722), se proclame roi de la dynastie Ming restaurée.

Pour la première fois depuis son avènement au pouvoir, la dynastie Qing subit un revers significatif. Alerté, l'empereur Kangxi (康熙 ; r.1661 – 1722) ordonne l'envoi de troupes aguerries à partir du continent. La révolte finit par être noyée dans un bain de sang. Les Hakka de Taïwan fuient leur île pour se réfugier chez leurs parents peuplant les provinces voisines du sud de la Chine.

Les réfugiés se regroupent en fraternités secrètes. Les Hakka forment le gros des membres de la confrérie qui deviendra le plus important foyer de résistance aux Qing dans le sud de la Chine : l'Association du Ciel et de la Terre (天地会« Tiandihui »).

Des techniques martiales secrètes d'auto-défense se propagent au sein des communautés insoumises. Ce sont les débuts de l'émergence des formes de boxes chinoises regroupées sous le nom de style Hakka. Parmi ces disciplines figure le Kung Fu Pei Mei, attribué à un Grand-Maître du temple de Shaolin surnommé Pei Mei (白眉), un nom mandarin signifiant « Sourcils Blancs », que la tradition orale dit d'origine Hakka.

❋ ❋ ❋

Le Grand Maître Pei Mei : Mythe ou Réalité

Grand-Maître Pei Mei

Le Grand-Maître fondateur du style Pei Mei, figure légendaire dont l'existence historique reste débattue, mais dont l'impact sur la culture martiale chinoise est indéniable.

Sans aucune source historique tangible, il est aujourd'hui impossible d'affirmer si le Grand-Maître Pei Mei a réellement existé. Mais on ne peut pas l'infirmer non plus. Toujours est-il que son nom est indissociable de la culture des arts martiaux chinois.

L'opposition des Hakka, au travers de la Tiandihui, contre les autorités impériales mandchoues et leur volonté de restaurer la dynastie nationale Ming ne cesse de se propager. Parmi les autres sympathisants à la restauration de la dynastie Ming se trouvent majoritairement des nationalistes de l'ethnie chinoise la plus importante, les Han, des moines de confessions bouddhistes ou taoïstes, des artistes martiaux.

La Légende des Cinq Invincibles de Shaolin

Les faits et gestes de la résistance circulent dans ces cercles comme une traînée de poudre. L'histoire des 5 invincibles de Shaolin demeure au nombre des récits les plus populaires dont de nombreuses versions coexistent. Il en ressort généralement la synthèse suivante :

Les moines bouddhistes du réputé temple de Shaolin manifestent ouvertement leur hostilité au pouvoir mandchou. Les autorités impériales ne pouvant accepter cette insubordination décident de réduire en cendre cette poche symbolique de résistance. À la suite de l'assaut dévastateur de l'armée Qing contre le monastère, 3 moines (Chee Seen, Fung Dou Dak et Pei Mei), une nonne (Ng Mui) et un laïc (Miu Hin) parviennent à s'échapper. Chacun de ces héros sera à l'origine des styles de boxes les plus influentes au sud de la Chine.

Le Grand Maître Pei Mei et la retraite au mont Emei

Parmi les survivants, le Grand Maître Pei Mei choisit la voie du retrait et de l'élaboration intérieure. Réfugié sur le mont Emei (峨眉山), il entreprit de repenser la pratique martiale à partir de la respiration, de l'architecture corporelle et de la circulation de l'énergie interne.

De cette quête naquit un système novateur : le Pei Mei Quan, dans lequel il chercha à unir la force du Shaolin à la fluidité du Wudang. Il transforma la dualité en un art de continuité, où l'énergie s'adapte sans se rompre et où la force naît du relâchement.

Qu'il fût personnage historique ou mythe fondateur, Pei Mei incarne la dissidence Hakka face à l'oppression de la dynastie Qing. Il devint la cible d'une campagne de diffamation orchestrée par les sbires impériaux, visant à diviser l'opposition en frappant l'ethnie qu'ils redoutaient le plus.

Propagande et Controverses

La propagande mandchoue particulièrement pernicieuse affirmera que le Grand-Maître Pei Mei, symbole de la résistance Hakka fut un traître à la cause des siens. Ce serait grâce à sa félonie que les troupes impériales réussirent à anéantir le Temple de Shaolin, pourtant réputé irréductible.

Des affabulations iront jusqu'à prétendre que, jaloux de ne pas avoir été élu comme nouveau responsable suprême des moines de Shaolin en recomposition, il alla jusqu'à assassiner celui qui fut désigné. Cette croisade anti-Hakka, reprenant la supposée félonie du Grand-Maître Pei Mei, continua à trouver écho au XIXème siècle durant les conflits ethniques dans la province du Guangdong, haut lieu des styles de boxe du sud de la Chine.

Au XXème siècle la littérature populaire (les Wuxia) puis le cinéma hongkongais en plein essor perdura cette mystification en continuant à présenter le Grand-Maître Pei Mei en tant que renégat sournois.

Bien que certains puisse le considérer comme une figure légendaire, le Grand Maître Pei Mei demeure, dans la mémoire des arts martiaux, un gardien emblématique de la tradition. Loin d'être un traître, il aurait choisi de préserver l'essence du Kung Fu ancestral tout en développant une voie indépendante, adaptée aux défis de son époque.

Un argument souvent avancé pour défendre sa loyauté mérite attention : s'il avait réellement trahi, son système aurait été promu par les autorités mandchoues. Or, comme de nombreuses écoles issues de Shaolin, son art fut contraint à la dissimulation pour échapper à la répression. Cet argument majeur renforce l'image d'un maître fidèle aux valeurs originelles et à la lutte contre l'oppression.

❋ ❋ ❋

La Propagation du Style Pei Mei

Parallèlement à la stigmatisation du Grand Maître Pei Mei par les autorités Qing, une répression méthodique s'abat sur les écoles de boxe associées aux mouvements rebelles. Jugées subversives, ces écoles sont surveillées, infiltrées, parfois démantelées.

Dans ce climat de persécution, la transmission des savoirs martiaux devient souterraine. Le Kung Fu Pei Mei, comme d'autres styles issus de Shaolin, entre dans une phase de clandestinité. Privé de reconnaissance officielle, il ne peut être enseigné publiquement ni codifié dans les cercles visibles. Sa préservation repose sur la mémoire orale, la gestuelle transmise dans l'intimité et la fidélité des disciples.

La diffusion du style Pei Mei s'opère principalement dans les provinces du sud, au sein de la communauté Hakka. A l'abris des indiscrétions, des maîtres transmettent les principes du style à des élèves triés sur le volet, souvent liés par des liens communautaires ou initiatiques.

Le successeur du Grand Maître Pei Mei est un moine dont l'histoire transmise dans les écoles ne retiendra que le nom : Quang Hue.

Le Grand Maître de la 3ème génération est Chuk Fat Van. On sait qu'il a été un moine taoïste itinérant. Selon H.B. Hun, qui a été un disciple direct du Grand Maître Cheung Lai Chuen, ce dernier a été instruit au Pei Mei durant 3 ans à lors que Chuk Fat Van avait déjà 92 ans.

Cheung Lai Chuen est le Grand Maître de la quatrième génération. Il est le premier laïc à recevoir l'enseignement du Pak Mei. Il est aussi le premier à codifier le système. Il enseigne à Canton, puis à Hong Kong, où il formera plus de 120 maîtres. A sa mort ses disciples diffuseront leur art vers le Vietnam puis l'Amérique du Nord et l'Europe, souvent via la diaspora Hakka.